Critiques/Reseñas

Parlons d’autre chose (au Théâtre de Belleville)

publié dans LA GALERIE DU SPECTACLE

 

Ils sont issus d’une génération procrastinatrice et distraite de serial clickers qui a remplacé le zapping par l’hyper-connectivité en temps réel. Il faut donc faire avec et être bref dans la présentation des personnages. Nous n’aurons droit qu’aux prénom, nom, âge, taille et rêves de chacune des huit filles et du seule garçon de la bande.
Ils sont tous dans la même classe de Terminale. Terminale L (en plus). Et, en plus, dans un « bon » lycée. C’est à dire, un lycée privé : le Saint-Sulpice. Ils sont tous des beaux gens, dans le sens de « riches ».

Mais ce pari dans la dramaturgie ne pose pas de problème . Au contraire, il permet d’enlever la composante socio-économique de l’histoire et tant mieux car, malgré les apparences, les pupitres et les uniformes, Parlons d’autre chose n’est pas une étude sur la vie du lycée mais une vivisection (sans anesthésie) des conflits de pouvoir/influence que se créent à l’intérieur d’un groupe et surtout de la construction d’une nouvelle identité choisie (avec ses régles et codes, solidarités, loyautés, rituels et hiérarchies) par opposition à cette autre identité donnée par l’école et les parents, représentée d’une façon assez claire par les uniformes et de la quelle les élèves voudraient bien s’émanciper.
Enlever les uniformes devient donc un geste assez logique. Ils le font. Presque comme une blague, mais pour certains une blague douloureuse. La nudité entre amis affirme les liens à l’intérieur du groupe mais se constitue aussi en point de départ d’une deuxième quête, celle de soi.

Une des plus grandes réussites de Parlons d’autre chose est que nous découvrons les singularités des personnages en même temps qu’eux-mêmes. D’abord à partir des différences physiques : une fois les uniformes enlevés, les corps restent beaux, mais ils ne peuvent plus être standardisés. Puis à partir des traits particuliers de caractère qui, en dehors du cadre de l’école, se font visibles et engendreront le conflit, ensuite carrément la violence. Ne vous inquiétez pas si quelques passages du premier quart de Parlons d’autre chose vous font penser ou plutôt craindre qu’une pièce avec un début impeccable ne devienne une comédie juvénile montée à partir de clichés de la vie adolescente. Ce regard condescendant (un regard d’adulte, donc assez chiant) va disparaître pour faire place à une tension montante sur fond de références aux métamorphoses des dieux classiques, et nous enserre dans un huis clos tribal avec un climat de « cult movie ». Nous sommes dedans et à chaque minute on se demande si ça va péter façon Orange Mécanique ou Le Seigneur des Mouches
…ou façon Le Mur by Pink Floyd /Alan Parker (♪ ♫ we don’t need no education ♪ ♫ )
… ou à la Tueurs Nés
… ou comme dans If de Lindsay Anderson
Parce qu’on se questionne sur la manière, le comment, mais au fond on sait que ça va péter.

Ce n’est pas la première fois que Léonor Confino à l’écriture et Catherine Schaub à la mise en scène s’essayent à ce type de match verbal dans la limite de la boxe. Elles l’avaient déjà fait avec Ring où le terrain de jeu c’était le couple. La dimension chorale de Parlons d’autre chose oblige néanmoins à pousser encore plus loin le dispositif. Ici ce n’est plus un tango agité mais une chorégraphie pop à la sauce techno hard pour laquelle elles se sont appropriées le langage des jeunes, non seulement dans les mots mais dans le rythme de la pièce, où les répliques s’enchaînent à mi-chemin entre le slam et les listes de Buzzfeed, et semblent dictées par une tension irrésolue entre la (hyper) modernité, les dynamiques tribales, avec tout ce qu’elles entraînent d’érotisme et de violence et l’impossible construction d’un individu à la fois libre et social.

Les neuf comédiens, qui ne quittent jamais la scène, coordonnent à la perfection chaque intervention pour ne pas laisser tomber ni l’intrigue ni l’ambiance trépidante de la pièce et deviennent ainsi des éléments cohérents dans cette fresque d’une jeunesse qui semble vouée à l’impossibilité d’une affirmation.
Mais pas que.
Car chacun s’empare aussi de l’individualité de son personnage et se donne à fond aussi bien dans les scènes les plus dures, comme celle du sacrifice des amazones, que lors de rares instants comiques comme celui ou chacun incarne son propre père ou mère : des « individus », pas moins perturbés qu’eux, pas moins violents et certainement davantage gavés de préjugés et de bêtise.
Des adultes, quoi.


Au Théâtre de Belleville.

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